Jocelyn Villemont

Né en France en 1986, vit et travaille à Thorigny sur Marne.
Diplômé de la Glasgow School of Art et de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Bourges, il fait aussi partie du duo d’artistes et curators It’s Our Playground avec Camille le Houezec.

Jocelyn Villemont a su sans conteste adopter le pli des artistes anglo-saxons qui s’approprient de façon totalement décomplexée l’imagerie et autres fragments d’une culture populaire envisagée dans son ensemble, tous registres, époques ou origines confondus. Villemont s’inscrit ainsi dans la logique inhérente aux modes de circulation toujours plus denses, et à la diffusion toujours plus rapide des modèles culturels. Il navigue donc librement dans cet amoncellement de niches que forment, non pas une, mais des cultures populaires. Leurs ramifications multiples et complexes n’ont jamais cessé de défier les étiquettes inventées par les historiens (d’art) ou les sociologues. Elles témoignent d’une grande pluralité et d’une immense porosité, jusqu’à engendrer régulièrement des formes et une esthétique hybrides, comme celles ici spécifiques au domaine de l’art contemporain.
-Caroline Soyez-Petithomme

My Problem with abstraction

Exposition de fin de résidence de Camille Le Houezec et Jocelyn Villemont.

La nécessité extérieure

-« My Problem with abstraction ». Je sens qu’il va falloir réfléchir.
-Fais voir, c’est le communiqué ?
-Laisse tomber, ça dit rien.
-Tant mieux ! C’est en français au moins ?
-Ouais.
-Bon, ça a pas l’air trop grave comme problème : regarde les grands dessins sur toile là-bas, on croirait du Christopher Wool.
-Tu ne peux pas regarder une œuvre sans penser à une autre ?
-Bien sûr que non ! L’histoire de l’art est une feuille de papier calque à travers laquelle je vois le monde !
-Oui, enfin regarde où tu marches, tu as faillis trébucher sur ce truc en carrelage, enfin ce socle en forme de pantalon ! Attends, en fait je pense que c’est une sculpture.
-Évidement que c’est une sculpture, sinon on ne se serait pas cognés dedans en regardant une peinture ! …Ad Reinhardt. S’il y a vraiment un problème, on tient un des responsables ! Ses Ultimate paintings de 1960, monochromes noirs, sans référents, purs objets de peinture, « oublieux de tout ce qui n’est pas l’art… ». La dernière des peintures, la plus radicale. Personne n’oserait faire ça aujourd’hui, je veux dire, laisser aussi peu de place aux autres.
-Les pionniers sont tyranniques. Mais si on considère que le premier monochrome noir est apparu bien avant, en 1897 dans l’Album primo-avrilesque d’Alphonse Allais avec le fameux « combat de nègres dans une cave, pendant la nuit », il n’y a plus rien d’irréversible dans les Ultimates paintings !
-Et on a deux fois plus de chance de conquérir le marché avec un produit réversible ou convertible !
-Tu as dit quelque chose ?
-Je disais qu’on ne peut pas mettre ces deux monochromes noirs sur le même plan !
-Mais si ! Le seul moyen de s’en sortir sera de considérer que « Les produits sont les mêmes partout, c’est la manière de les présenter qui change tout ! »… c’était le slogan d’une banque Suisse dans les années 1980.
-Je respecte tes références. Tu veux des chips ?
-C’est bizarre que tu penses à Wool en voulant diagnostiquer une peinture gestuelle, lui qui a passé toute sa carrière à annuler la spontanéité et l’authenticité du geste par différents procédés de répétition ou de reproduction mécanique.
-Justement, il y a un truc qui cloche dans cette abstraction : on dirait que ce geste n’était pas fait dans l’intention d’être abstrait. Tu crois que la solution pour libérer le geste des références dans lesquels il est engoncé, serait de le commettre en prétendant faire autre chose ? …Regarde, c’est pas un patron de chemise ça ?
-Ah tfiens, une éponfe !
-quoi ?
-Glups. J’ai lu un article l’autre jour sur le net qui disait que l’éponge de mer peut reprendre vie quand tu la replaces dans son milieu naturel, c’est génial non ?
-bof. Ma mère en a mis dans sa salle de bain pour décorer.
-Imagine que ce soit la même chose avec les motifs. Ils changeraient d’environnement sans jamais se dégrader : de la peinture moderne au design révolutionnaire, direction le décor de cinéma, passage par une moquette vendue chez Castorama, retour sur la toile avant d’arriver dans une collection de haute-couture, et hop, tu pourrais reprendre les même formes dans une installation où elles seraient toujours aussi puissantes !
-Je vois pas ce qui t’en empêches, toi qui n’attaches aucune importance à la généalogie des formes. Tiens, je suis sûr que tu vois les tableaux de Mondrian dans ce livre comme des interprétations d’un logo de laque à cheveux.
-Ouais, mais j’aime encore mieux l’idée que Mondrian ait lui-même créé sa laque à cheveux. Je sais pas avec quel slogan… Pour fixer son esthétique dans la tête des gens ?
-Pour cela, la reproduction a fait son œuvre, et a même devancé le mythe : avoue que toi aussi tu as été déçu par la touche imparfaite la première fois que tu as vu un Mondrian en vrai.
-Non, au contraire, ça me rassure. Ça me conforte dans l’idée qu’avec l’histoire de l’art et toute la théorie au-dessus de nos têtes, on reste des artisans qui essayent de bien faire.
-On va rechercher des chips ?

Julie Portier

Vernissage